Les homosexualités ? Voici une interrogation qui bouscule les discours qui jusqu’ici ont cours dans notre monde contemporain. Les homosexualités ont mis à l’épreuve la psychanalyse dès ses débuts (à partir de 1910) en la forçant à s’éloigner des discours idéologiques, théologico-moraux et politiques qui la comprennent comme obsession du même et refus de l’altérité. Cependant et afin de ne pas se laisser enfermer dans le couplage machiavélique inné/acquis qui à chaque fois repousse une singularité et essentialise l’homosexualité, comme cela s’entend aujourd’hui pour l’autisme, l’intelligence ou la violence, nous parlerons d’homosexualités, elle est aussi plurielle qu’autant d’homosexuels (qu’ils soient femmes ou hommes).
La psychanalyse avec Freud produit et inaugure une autre mode de pensée éthique, concernant les homosexualités, en évitant et en refusant les discours qualifiant celles-ci d’ «anomalies » et d’ «anormalités ». Freud considérant l’homosexuel un sujet de désir comme un autre, il éclaire la compréhension par le choix d’objet tout en lâchant la notion d’inversion qui parcourt les Trois essais sur la théorie de la sexualité. Cependant, homme de son époque, il parle d’une disposition à l’homosexualité si un humain est exclusivement élevé dans un monde de femmes. Une telle assertion il la produit à partir de sa pratique clinique. Nulle misogynie dans son propos, mais seulement un recours à une pensée liée à la notion d’hétérogénéité et d’altérité. Freud écrivait dans ce même livre : « La recherche psychanalytique s’oppose avec la plus grande fermeté à la tentative de séparer les homosexuels des autres humains en tant que groupe particularisé. » Le refus d’une telle exclusion est au cœur de l’éthique de la psychanalyse.
Aussi s’il est avéré qu’on retrouve sous la plume de Freud l’homosexualité qualifiée de perversion, la notion de perversion comme structure n’est nullement rattachée exclusivement à l’homosexualité. Comme structure la perversion est plus large. Le champ des perversions dans le corpus freudien se réfère plus à des notions comme : sadisme, masochisme, fétichisme et de pédophilie. Se soutenant de son développement sur la bisexualité psychique, Freud ne peut pas voir dans l’homosexualité une déviance comme cela était toujours le cas.
Très vite les psychanalystes du début du siècle dernier se sont engagés dans un écart radical par rapport aux discours qui criminalisent l’homosexualité. Par exemple on trouve sous la plume d’un des premiers psychanalystes, Ralph Roughton, ceci : «[…] l’existence indéniable de femmes et d’hommes homosexuels sains et matures. »Ainsi avec la psychanalyse s’est trouvée posée et affirmée une dé-pathologisation de l’homosexualité. (Concernant la Tunisie : une dépénalisation de l’homosexualité s’accompagnerait d’une dé-pathologisation des discours qui la parlent). On doit aussi à des psychanalystes comme Otto Rank, d’avoir soutenu le premier la possibilité de l’exercice de la psychanalyse par des psychanalystes homosexuels contre le groupe psychanalytique berlinois animé par Karl Abraham ou contre le psychanalyste anglais Ernest Jones.
Freud n’a pas hésité, dans plusieurs de ses écrits (La jeune fille homosexuelle, Un souvenir d’enfance de Léonard de Vinci) de se risquer à une compréhension psychanalytique de l’homosexualité. Il sera suivi plus tard par Lacan dans sa lecture de Jeunesse de Gide qui élargit de manière critique, l’éclairage de l’homosexualité, selon sa théorie de ce qu’est un sujet pour la psychanalyse. Freud écrivait en 1935 à Stephan Zweig qui l’interrogeait sur l’homosexualité masculine : « L’amour d’homme à homme […] serait peut-être même plus satisfaisant étant donné qu’il n’aurait pas à dépasser ce dernier reste d’étrangeté entre homme et femme. » Et il ajoute dans une autre lettre à Zweig : « C’est une grande injustice de persécuter l’homosexualité comme un crime, et c’est aussi une grande cruauté. » N’est-ce pas cela même que subissent les homosexuel(les) en Tunisie : criminalisation, cruauté dans les paroles et dans les actes à leur encontre, et psychopatholigisation de leur personne. C’est une exigence dans la pensée et le respect de la notion de différence que d’interroger ainsi l’exclusion de l’homosexualité dans notre société.
Parler de perversion pour les homosexualités, chez un psychanalyste, c’est trahir la dimension éthique de la psychanalyse. Aussi cette position éthique commande au psychanalyste de ne point diriger la cure d’un homosexuel vers un devenir hétérosexuel, l’enjeu est toujours ce que peut faire un sujet de son lien à son désir quelque soit son orientation. Il faut attendre Lacan et son enseignement afin que la perversion comme structure ne soit plus arrimée au choix d’objet sexuel. Car la perversion comme structure se présente comme une remise en question de l’ordre social, de la famille œdipienne canonique et d’une sexualité normée.
Ce sont les French studies, s’appuyant plus particulièrement sur les pensées de Michel Foucauld et Jacques Lacan, qui ont permis aux Etats-Unis l’ouverture de nouvelles réflexions sur l’homosexualité. Lacan a insisté dans sa transmission de la psychanalyse sur ceci : le trajet d’un sujet dans la vie se sustente par le rapport à son désir et non comme le faisait Freud en mettant l’accent sur son choix d’objet. Ce qui est là effectif c’est la complexité du désir humain aussi bien hétérosexuel qu’homosexuel. Si dans la société patriarcale, l’homosexualité est assimilée à une menace contre elle et transmet par là une angoisse de féminisation des hommes qui ferait du lien social un espace régi par les femmes, la psychanalyse rencontre l’homosexualité dans cette disjonction que produit celle-ci entre sexualité et reproduction.
Ce que la psychanalyse contemporaine, surtout avec Lacan, a permis c’est une autre manière, une manière nouvelle de penser et de présenter la question sexuelle. Suivant l’enseignement de Freud qui fait de la sexualité et de la pulsion de mort les signifiants du malaise dans la civilisation, Lacan a accentué la dynamique du sujet humain sur la problématique du désir et son devenir et non plus sur la relation à l’objet réel de satisfaction sexuelle.
Identité sexuelle et choix d’objet sexuel doivent pensés comme des conséquences, elles ne permettent à elles seules de spécifier une position subjective sexuée. Du fait de la bisexualité psychique se situer du côté homme ou du côté femme ne préjuge pas du choix d’objet. Il y a une relative indépendance entre choix d’objet et structure (on peut être névrosé, pervers ou psychotique qu’on soit hétéro ou homosexuel). Aussi du côté de l’identité sexuelle : se situer psychiquement du côté homme ou du côté femme ne préjuge en rien, mais en rien de l’objet d’amour, quel objet d’amour on choisit. L’identité sexuelle est un choix psychique du genre masculin ou féminin, cela très tôt dans l’avènement de l’être humain, et ce indépendamment de l’anatomie et du plaisir sexuel que celui-ci pourrait plus tard avoir du sexe de l’autre. Elle suivrait des vecteurs pulsionnels actifs ou passifs qui ne peuvent en aucun cas être confondus avec la structure selon laquelle s’est constitué le sujet. Le sujet aime avant même de savoir ce que la sexualité, le sexe veut dire et impose : le choix est d’abord choix d’objet d’amour avant d’être choix d’objet sexuel. Peut-on affirmer sans symptômes son identité sexuelle et ses choix amoureux ? Rien moins évident. Etre hétérosexuel ou homosexuel c’est un devenir dans le cheminement du désir pour vivre l’amour et c’est là où s’opère pour la psychanalyse, aujourd’hui la rencontre avec la question homosexuelle.
Une telle avancée par et sous l’éclairage de la psychanalyse permet à Michel Foucauld de penser et de dénoncer avec un puissant courage de vérité, pour prendre une de ses énonciations, les dispositifs discursifs juridiques, religieux, culturels qui visent toujours à créer une norme excluante. L’apport de la psychanalyse lui permet de la suivre pour penser, avec elle, que c’est le désir qui instaure les différentes formes de rapports humains et non notre sexe anatomique. Il s’agit avec Foucauld non d’affirmer être homosexuel mais de se demander qu’est-ce qu’un devenir homosexuel, car c’est un devenir comme un devenir hétérosexuel ou comme un devenir femme ou homme. Sortir d’une naturalité et d’une essentialisation et tenir compte du devenir de l’être humain est l’enjeu majeur. Qu’est-ce qu’un devenir pour un psychanalyste: se créer un trajet pour une vie au-delà du choix sexuel qui permet des créations de nouvelles formes de rapports humains, d’amitiés dans tout le champ de la société. L’idée est de favoriser les rapports sociaux et d’amour, il n’est nullement question d’affirmer une identité sexuelle comme un étendard mais de montrer en quoi sommes-nous des êtres uniques singuliers, uniques. Cette affirmation de la singularité de l’être est ce qui est au cœur de pratique psychanalytique et de l’éthique du psychanalyste.
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