Devenir mère, rester femme : introduction

Okba Natahi, psychologue clinicien, psychanalyste. Le réel du corps de toute femme lui permet normalement la possibilité de se réaliser dans une maternité.

Pour la psychanalyste Françoise Dolto, mère signifie pour tout être humain, par-delà son histoire de fœtus et de nourrisson, une représentation de créativité.

Une femme enceinte peut éprouver des sentiments contradictoires que manifeste le langage de son corps, sous forme de jubilation ou de rejet qu’elle peut vivre consciemment ou inconsciemment.

Ainsi gester c’est manifester à travers un acte corporel et sexuel une acceptation ou un refus, et les manifestations psychosomatiques de la femme enceinte sont autant de choses qui parlent de son rapport à autrui. Cependant le destin de ce réel et de cette réalisation sont fonction du devenir-femme pour chaque femme. Ce devenir se décline selon, d’une part, la place que prend le désir au féminin, et d’autre part selon les modalités des discours qui parlent, nomment et articulent la dialectique que sous-tend ce désir.

Si le devenir-mère est, comme le propose l’argument de la journée, en lien avec la logique du désir pour une femme, il faudrait alors déplier cette logique entre désir inconscient et souhait conscient d’une maternité puis le mettre en résonnance avec une maternité qui se voudrait naturelle ou subie. De nombreuses femmes témoignent, en effet, d’un impératif maternel : se marier, avoir des enfants non comme réalisation de leur être de femme mais comme place à occuper.

Le désir reste profondément complexe à identifier dans les projets d’une femme, car il est pris dans un plan double – subjectif/objectif -, celui du désir d’avoir un enfant et celui du désir de l’enfant en l’occurrence de l’enfant-fille.L’autre plan où la problématique du corps est convoquée : qu’en est-il de la transformation corporelle pendant une grossesse comme interrogation sur l’investissement de l’image narcissique ; altération qui peut s’avérer aussi complexe qu’abrupte pour une femme.Le face à face avec l’enfant, venu au monde, peut aussi se vivre sous les traits d’une dévoration mutuelle, rendant mère et enfant à un fantasme anthropophagique. Cela nous éclaire souvent sur la solitude des jeunes dans leur symbiose avec l’enfant et ce quelque soit l’entourage qui les soutient. L’intrusion réelle d’un enfant, par sa venue au monde, dans les arcanes affectives du couple parental met celui-ci à l’épreuve d’un renouvellement de la question de l’amour et du désir et de la place qu’y occupe chacun. Il arrive souvent qu’un homme confronté à sa femme devenue mère se retrouve être pris dans un double mouvement : d’une part le regard qu’il porte sur la femme s’altère et compromet son rapport au désir qui l’habite et d’autre part il régresse à une place de l’enfant qu’il était dans son lien à sa propre mère. Il se retrouve alors vivre une rivalité avec son enfant là où il doit en être le support identificatoire.

L’on sait aussi que le statut phallophore que prend l’enfant, dans une société ou une culture donnée, peut informer sur la place qu’y prend le phallique au regard du féminin et du masculin. L’enfant, né garçon, se retrouve souvent dépositaire de la marque phallophore alors même que le phallique n’est nullement affaire de genre, de nature ou de sexe.

Cette place donnée à l’enfant garçon a des conséquences sur les différentes versions de l’amour entre homme et femme.

Que dire alors des mots dans la langue qui idéalisent le masculin alors que le féminin est, lui, renvoyé à une présence démoniaque, angoissante et intouchable.In fine, des femmes témoignent d’une jouissance particulière pendant leur grossesse, « plénitude » en est le signifiant souvent énoncé. Cette jouissance éprouvée comme telle peut aussi propulser certaines d’entre elles vers une réitération ou plutôt une solution itérative d’une grossesse pour combler le manque à être qui habite tout un chacun. Aux prises avec cette plénitude, il arrive aussi que des femmes dérivent jusqu’à la mélancolie ou le délire quand elles se retrouvent exposées au vide laissé en elles par la naissance de l’enfant.

Etre mère et rester femme peut se comprendre comme une certaine forme d’accomplissement pour une femme. Rester femme suppose que le désir d’une femme ne soit pas uniquement orienté vers la maternité comme créativité mais est ouvert à d’autres modes de sublimations, ne serait-ce entre autres de ne pas déserter l’érogénéité de son corps propre comme circulation dans l’échange amoureux.Tout cela nous amène à pose le quadripode suivant – mère, matriciel, maternel, féminin – qui peut éclairer la confrontation de la femme à la réalisation de son être au monde.

Ce quadripode se questionne avec ce que propose François Perrier dans son séminaire sur L’amour : « Il faut toujours en passer par la mère et par la grand’mère pour comprendre quelque chose de ce qui passe chez la femme », en somme il ‘agit d’interroger l’inceste entre fille- mère- grand-mère pour comprendre ce qui structure l’être-femme. Journée d’études de l’AFPEC « Devenir mère, rester femme », Février 2018.