(Suite 3)
Inès 34 ans.
Un alcoolisme massif dypsomaniaque avec des black-out graves et sévères avait frappé Inès depuis quelques années, ainsi qu’une anxiété majeure qui la “ronge dans ses tripes” dit-elle et qu’elle n’arrive pas à maitriser.
Ses souvenirs troublants et accablants la hantent, la réalité de l’inceste, les scènes d’attouchement, de pénétration anale, des doigts de son père, sur le canapé. Elle était adossée, blottie contre lui dans ses bras, écoutant ses bruits de coeur, loin de son regard, juste son odeur douce. Une intrusion répétitive des limites corporelles avec un soin maternant et une idéalisation narcissique de la part du père.
Ines toujours habillée en noir comme dans un costume de deuil, avec une petite note blanche. Elle est caustique et fine, pâle et frêle, fuyant toujours mon regard.
En parlant de ces scènes, Ines a mal aux oreilles, son cœur bat très fort, et commence par avoir des nausées, des éructations… Quelque chose de non digéré, un dégoût mêlé à une tendre nostalgie.
“J’adore le jeu de séduction mais je n’aime pas passer à l’acte, J’en veux à ma mère de m’avoir privée d’amour, je n’ai pas reçue la tendresse qu’elle a donnée a mes frères et sœurs ; elle ne voulait pas de moi, et elle s’attendait à un garçon. D’ailleurs elle m’a toujours appelé d’un prénom de garçon jusqu’à l’âge de 14 ans. J’ai honte de le prononcer. J’ai vécu avec une figure maternelle qui n’a jamais porté de visage”. C’est mon père qui faisait tout, m’habillait, me changeait. J’étais sa préférée, il fallait lui plaire pour ma survie. J’ai du mal à associer mon père à un agresseur, il débordait d’amour pour moi, certes d’une manière malsaine et qui me faisait mal, mais ce qui est paradoxal c’est que tout était en douceur. »
Inès enchaine : « vous savez doc, l’inceste est une forme d’amour et c’est grâce à cet amour que j’ai pu réussir, mais à quel prix… ».
Alcoolisme, accès d’anorexie (Inès était obèse et a dû perdre 15 kg en six mois très jeune. « je pensais qu’en étant maigre et sans formes je n’attirerai plus mon père”), sexualité désordonnée, homosexualité perverse, Inès recherche toujours une femme de l’âge de sa mère qu’elle paye pour se livrer à des jeux de domination, d’humiliation verbale et physique et qui pouvaient mener jusqu’aux blessures.
Elle s’auto inflige tout ce mal : « il faut toujours qu’on me fasse du mal pour pouvoir continuer et avancer. Ma mère me disait, tu vas devenir folle en étudiant de la sorte ». Ines était en effet une brillante jeune fille, elle travaillait sans trêve mais sans trouver de sens à sa vie.
« Je n’aime pas ma vie, je suis piégée par cet amour ». L’évocation des dates et de l’inceste est pénible et laborieux pour Inès. « Je sais que ça s’est arrêté à 10 ou 12 ans…et puis c’est rien, rien de grave… ».
Violence douce, mais violence tout de même, d’autant plus destructrice qu’elle avait été enfouie sous une apparence inoffensive.
Une situation traumatisante est par essence inattendue, imprévisible, soudaine, menaçant la vie du sujet et/ou celle d’un alter ego. Elle ne se rattache pas à un événement, mais à un accident au sens fort. Au sujet du traumatisme psychique, Barrois[14] ajoute qu‘il est la réponse à l’intérieur du sujet de cet accident : “C’est une sorte de traumatisme en acte et en puissance”. Le traumatisme psychique c’est le sentiment d’être totalement réifié, de devenir une chose, un cadre.
L’inceste est la prise de possession du corps de l’enfant par le géniteur et c’est plus encore la dépossession en ce corps de sa parole et de son désir.
Le traumatisme ne serait ni un choc, ni un incident de jeunesse secret, ni un refoulement de souvenir, ni le fantasme inconscient d’un traumatisme ou d’un attentat séducteur. Il est précoce, se constitue en deux temps. Il est la résultante d’abord des mouvements passionnels des adultes, de leur langage de « passion » face aux demandes de tendresse et de vérité de l’enfant. Ensuite, les désaveux par ces mêmes adultes de la souffrance psychique de l’enfant, peuvent être ressentis par ce dernier comme un « terrorisme » et peut avoir comme conséquence l’entrave de l’autonomie de penser. Enfin, le désaveu de l’introjection du sentiment inconscient de culpabilité de l’adulte altère l’objet d’amour qui se convertit en objet de haine
Comme on l’a évoqué précédemment, cette haine transforme un être qui joue spontanément et en toute innocence, en un automate, coupable de l’amour, et qui imitant anxieusement l’adulte, s’oublie pour ainsi dire lui-même. »[15]
(à suivre)
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